mardi 9 novembre 2010

Le Livre des Morts d'Inès




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Dans l'Egypte Antique (Kemet), lorsqu'une personne mourrait, on préparait son voyage pour l'Au-Delà, vers le Royaume d'Osiris. Les rituels funéraires connaissaient de nombreuses étapes; parmi elles la momification. Pour accompagner la momie dans son voyage, on plaçait à ses côtés dans le tombeau une collection de papyrus formant un Livre des Morts. Le Livre des Morts s'appelait Sortir au jour dans la tradition religieuse de Kemet. Il illustre toutes les étapes et épreuves que le mort devra subir, liste les incantations à faire aux dieux, le plaidoyer avec lequel il demandera l'absolution de ses péchés. L'étape la plus importante du voyage, c'est c'est l'issue du tribunal d'Osiris, la pesée de l'âme: la déesse Maât pose dans le plateau d'une balance le coeur du défunt et dans l'autre plateau une plume; si le coeur est plus léger que la plume, c'est-à-dire que l'âme est exempte de péchés qui l'alourdissent, le mort peut embarquer sur la barque solaire vers le Jour, alors que s'il est plus lourd, il est condamné à être mangé par Ammout, la déesse dévoreuse des morts.

L'écriture du Livre des Morts qui accompagnera l'égyptien dans son tombeau était une des tâches les plus importantes qu'il ait à accomplir durant sa vie.

J'ai voulu écrire le Livre des Morts d'Iset, celle qu'aurait pu être Inès dans l'Egypte Antique.

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Je suis couchée dans mon tombeau. Le froid de la mort m'habite, là où jadis j'eus des organes. Etrange sensation d'avoir les viscères dans les quatres canopes à mes pieds, et d'avoir des amulettes d'or dans le corps. Seul mon coeur est resté, siège de mon âme. Je n'ai plus d'yeux pour voir, mais je sais où aller. Je me lève dans un bruissement de papyrus se frottant sur les flancs de mon corps déshydraté. Je quitte mon tombeau. Les premiers pas de mon long voyage vers le Jour commence.


Ô Osiris, dieu des morts, toi l'éternellement beau Ounen-Nefer, le terrifiant et magnifique Grand Noir Ousim Kem-Our, je cherche mon chemin vers toi, je marche vers toi, tremblante de peur, mais exaltée par la promesse du salut que tu m'offres.

La salle funéraire, plongée dans l'obscurité, m'étouffe par son silence. Je la quittes. J'emprunte le long couloir, et au bout du long couloir, je vois l'escalier. Je descend les marches, une à une, mes mains de part et d'autre s'appuient sur les parois en pierre du passage étroit. Je quitte Kemet à jamais, et j'arrive dans le monde souterrain. Je quitte mon djet, mon enveloppe corporelle, et je ne suis plus que ka, mon moi métaphysique. Ma terre natale va-t-elle me manquer? Vais-je me souvenir de ma première vie ou les images et les sons s'effriteront au fur et à mesure que j'avance?

Ici, rien n'est semblable. Le temps n'existe pas, ni l'espace, ni le ciel, ni la terre. Mais comment continuer mon voyage? Dans ce monde où je suis aussi dépourvue d'expérience que de mes cinq sens?

Ô Rê, ô Soleil, Rempart contre les ténèbres, Combattant du Jour qui terrasse le chaos nocturne, vais-je réussir à te rejoindre? Quand chaque nuit Seth lance ses rayons sur le serpent Apophis alors que tu renaîs, je prie pour te voir apparaître, pour brûler dans tes lueurs mes peurs nocturnes, mon désespoir tapi dans l'haleine visciée des démons qui peuplent l'obscurité.

Je dois reconstituer le chemin pour avancer, je dois répondre aux énigmes. Je dois me transformer pour trouver la forme qui m'oriente. Je serai successivement un faucon d'or, un nénuphar, un héron ou une hirondelle. Je réussirai à remettre le ciel sur ma tête, la terre sous mes pieds, l'eau dans le lit du Nil et le feu derrière l'horizon.

J'arrive enfin sur la place, celle où se tiendra mon procès. Je vois la balance, où mon coeur sera déposé, je vois Ammout, la menaçante dévoreuse de morts à la tête de crocodile et au corps de lion. Je me sens petite, misérable; je suis terrifiée. Je dois m'avancer pour prendre la parole, mais j'ai l'impression que je ne réussirai à faire les trois pas qui me sont demandés. Au prix d'un effort aussi grand que celui qui m'aurait fallu pour inverser le cours du Nil, je marche jusqu'au centre de la place. Je suis dans le tribunal d'Osiris, je dois me défendre.

Ô dieux du ciel et dieux de la terre, ô vous qui êtes ici pour entendre de ma bouche la vérité, bien qu'omniscients, vous connaissez mieux que moi ma vérité, je vous invoque, je vous invoque, j'invoque votre clémence.

Je suis née, moi Iset, fille modeste de parents modestes,
J'ai aimé mes parents et j'ai pleuré leur mort,
J'ai dignement préparé leur après-mort.
J'ai grandi et j'ai essayé de ne blesser personne, mais j'ai blessé,
J'ai essayé de ne pas mentir, mais j'ai menti.
J'ai laissé la facilité parfois gauchir mes actes.
Mais les maux que j'ai fait je ne les ai pas souhaité.
Je n'ai jamais blasphémé Amon, j'ai été servante d'Aton
J'ai glorifié le nom de la mère Isis.
Moi Iset j'ai commis la plupart de mes erreurs par amour,
Car j'ai aimé, j'ai aimé, j'ai aimé.
Mon amour a parfois voilé ma vue et j'ai mal agi.
J'ai aimé mes parents, j'ai aimé mes soeurs, j'ai aimé mon frère.
Et plus je les ai aimé, plus il m'est arrivé de les blesser.
Mon coeur porte les cicatrices des sacrifices qu'ils ont fait pour moi,
Et j'ai essayé du mieux que j'ai pu d'être la fille qu'ils méritent, la soeur qu'ils méritent.
J'ai aimé, j'ai aimé, j'ai aimé un homme d'un amour brûlant.
Je lui ai donné ma vie à en disposer, je lui ai donné mon corps pour l'union,
Je lui ai donné mes pensées au point parfois d'oublier d'invoquer les dieux plutôt que de l'invoquer lui.
Moi Iset, je n'ai jamais offensé l'orphelin, je n'ai jamais levé la tête devant les aînés.
Je suis morte jeune, avant d'avoir pu enfanter, de la main de l'homme que j'ai aimé.
Car il n'est d'homme qui ne finisse pas par tuer l'objet de son amour, et il n'est femme qui ne souhaite pas mourir de la main de l'être aimé.
Moi, Iset, je vous demande, dieux du ciel et de la terre, l'absolution, et le passage vers le Royaume d'Osiris.
Nul n'a été exempt du péché, mais je demande la purification de mon coeur, qu'il soit plus léger qu'une plume.

Je n'ai pas eu le temps de refermer complètement la bouche après mon plaidoyer que je vois la déesse Maât s'approcher de moi, plonger sa main dans ma poitrine et en ressortir mon coeur. Elle dépose mon coeur sur un des plateaux de la balance, et sur l'autre elle laisse tomber une plume, cotonneuse, aérienne, comme la plume du duvet d'une colombe. La balance penche du côté de la plume, mon coeur a été lavé. Ammout laisse échapper un grognement de frustration à travers ses crocs de crocodile, elle ne me dévorera pas.

Le passage s'ouvre derrière Maât, et je cours maintenant presque comme si je volais, je cours vers l'embarcation que je vois au loin. Le bateau solaire est pris d'assaut par les défunts qui partent pour le Royaume d'Osiris. Je regarde autour de moi, et pour la première fois que je ne suis pas seule, que les foules se pressent de part et d'autre. Ont-ils toujours été là, avons-nous fait le voyage vers le jour ensemble? Je ne sais pas.

Je suis sur la barque solaire, elle continue de s'emplir. Quand plus personne ne peut monter, le bateau s'élance, et nous tous, qui sommes nés d'une larme de Rê, nous retournons nous fondre dans le Soleil.

2 commentaires:

gina celi a dit…

Je viens de faire un beau voyage! J'y étais!!! dans l'Egypte Antique... la pesée de l'âme...je vais rester toute la journée avec la jolie image de la barque solaire!! Tu es une specialiste pour ça!!! je me suis souvenu de l'atelier de contes quand tu as crée l'image du soleil entre les deux branches!!
J'attends avec impatience la suite...fais-moi encore voyager au centre du soleil!!!
Ne t'arrete pas d'écrire, continue à nous faire voyager!! bechitos gina

Anonyme a dit…

Merci cousine, quel beau récit et quelle précision, on dirait vraiment que moi aussi j'ai été là du début à la fin, j'ai envie de fermer les yeux pour imaginer tt ça... Excellent, fantastique et extraordinaire... bravo