Je l'aime.
dimanche 29 juin 2008
Enlacés
Je l'aime.
samedi 28 juin 2008
Place des Nations de nuit
Des petits jets d'eau, dans la ville du Jet d'Eau, tantôt fontaines, quand ils s'élancent de tout leur long, tantôt bougies, quand ils se replient sur eux-mêmes. Sur fond bleu nocturne, les flammes d'eau dansent et sont réfléchies par le sol en béton, devenu miroir.
Je vois encore ces petites filles jouer et slalomer entre les jets, la petite blonde et la petite noire, riant aux éclats quand l'eau les prend de cours et les éclabousse. Et cet adolescent en rollers qui glissait entre les lumières. Tournant le dos à la chaise estropiée érigée en bout de la Place des Nations symbolisant les victimes des mines anti-personnelles, j'assistais au ballet d'eau à travers le viseur de mon appareil photo.
Ces instants éphémères je tente de les capturer. Par les mots ou les images, j'ai gardé leur trace en moi. La Beauté du monde appelée à passer, bien après que nous soyons nous mêmes passés, mais la seule chose de valeur qu'ait jamais faite l'Homme n'était-il pas justement de reconnaître et apprécier cette beauté?
jeudi 26 juin 2008
Saveurs
Je me souviens du goût des épices, fortes comme ton désir, brûlantes comme mon plaisir, persistantes comme la moiteur de ces chaudes nuits d'été pendant lesquelles nous nous unissions.
Je me souviens du goût de ces baies, acides comme tes reproches, lorsque je n'avais su que tout gâcher à force de tout vouloir me faire ressembler.
Je me souviens du goût du café, amer comme mes regrets lorsque j'ai compris que tu t'étais détaché au rythme de mes médiocrités et de nos incompréhensions.
Je me souviens du goût de l'eau de mer, salée comme mes larmes quand je t'ai vu partir sans plus jamais te retourner.
mardi 24 juin 2008
jeudi 19 juin 2008
Le Cavalier Noir et les deux Cavaliers blancs
Je pouvais bien attaquer l'un ou l'autre, le terrasser peut-être même, mais dans cette éventualité, je serais encore plus vulnérable aux coups de son comparse. J'étais trop lâche pour courir plus près que je ne l'étais déjà de ma mort certaine. Chaque seconde qui me restait à vivre m'était chère, et les sentir me fuir avec la rapidité des grains de sable qui filent entre les doigts me glaçait. J'aurais aimé qu'une pensée ou qu'un souvenir vienne me réchauffer en cet instant, me tenir compagnie, adoucir les contours de l'insoutenable, mais rien ne se passait réellement dans ma tête, la peur et l'immensité de mon désespoir prenant toute la place de ma personnalité et de mon histoire.
Ils se ressemblaient parfaitement et je ne sais pourquoi ce fait me dérangeait étrangement, car j'ai pourtant toujours su, comme nous l'avions toujours tous su, que les cavaliers venaient au monde par paire. J'avais moi-même un frère jumeau; j'ignorais toutefois où il se trouvait en ce moment même. Il en a toujours été ainsi pour les cavaliers frères: dès que nous étions en âge d'être mis en selle nous étions placé chacun d'un côté du Plan d'Affrontement, symétriquement par rapport au centre de nos rangs, où se trouvaient le cœur et la raison d'être du groupe, le couple royal. Il arrivait qu'un cavalier recroise par le hasard des déplacements ou par la stratégie des placements son frère jumeau, comme c'était le cas de mes deux vis-à-vis, mais je n'avais pas encore aperçu le mien; peut-être avait-il déjà été renversé. Il y avait une éternité il me semblait que lui et moi nous jouions aux jeux de guerre dans l'arrière-cour de notre maison natale, rêvant au jour où nous pourrions être assez grands enfin pour parcourir le Plan sur nos chevaux respectifs (nés jumeaux eux aussi), pour voir défiler sous nos yeux les variations noires et blanches du granit à damier alors que nous menions bataille. Lui et moi, nous aimions écouter les récits épiques et mythologiques de Maître Calawen le Camard, qui avait perdu le nez au Plan avant même la naissance du père de mon père. Le Maître nous parlait souvent, entre deux enseignements, de ce qu'il aimait nommer sa "Partie" dont il était revenu seul survivant lui et son Roi.
Mon frère me manquait. Ces nuits que nous passions à nous chamailler pour savoir qui de Ybael le Tomber de Tours ou de Zemefin-Plus-Noir-que-la-Nuit était le plus grand cavalier de tous les temps, ces heures à dompter nos chevaux, ces repas au réfectoire pendant lesquels nous tentions de piquer la part de tarte des autres jumeaux; tout cela me manquait. Jamais de ma vie je n'aurais imaginé ressentir une chose pareille.
Un malaise grandissait, différent de la peur qui continuait de me tenailler par ailleurs. De la perplexité. Ces visages immobiles, cette nostalgie de mon frère, cette peur de mourir, cette tentation de fuir... Jamais n'avais-je ouï chose pareille. Ce n'était pas normal et je le savais. J'aurais dû avoir honte de penser à autre chose qu'à protéger mon Roi mais j'avais beau chercher en moi, je ne trouvais nulle trace de honte. Je voulais vivre, je voulais retrouver mon jumeau et quitte à passer pour un lâche, je ne voulais pas mourir pour un souverain auquel je n'avais jamais choisi de faire allégeance. Mon frère me choisirais un prénom et je lui en choisirais un, car nous n'en portions pas; il est d'usage que seuls les survivants d'une Partie aient le Privilège d'Individualité. Je serai le poing et la rage de survivre m'envahit, repoussant la peur, repoussant le malaise.
Je vivrai. La conviction s'était imposée à moi et je sus que je me battrai pour ce nouvel idéal.
Mon regard se perdit un instant entre les deux cavaliers blancs et je vis un pion noir se faire écraser par une tour blanche; il avait attendu docilement sa fin. Je me souvins comment dans nos jeunes jours nous riions aux dépens des pions, leur jouant mille et un tours. Je me souvins de la colère de Maître Calawen le jour où il découvrit que mon jumeau et moi avions mené nos chevaux à en piétiner un. Il nous avait dit que bien que dénigrés par nous pour leur faiblesse, nous apprendrions un jour qu'ils n'en forment pas moins l'âme de la Partie et que leur sens du sacrifice, exemplaire, devrait nous inspirer pour nous surpasser plutôt que pour nous complaire dans notre médiocrité.
Puis la tour blanche qui l'avait piétiné s'effondra, sous l'assaut d'un chétif pion noir qu'elle avait négligé lors du calcul de son avancée, par négligence, par imprudence ou par suffisance. La force de la faiblesse comme aimait à nous mettre en garde le Camard lors des cours de stratégie.
Le changement qui s'était opéré en moi n'avait pas échappé aux deux cavaliers blancs et aux remarques sarcastiques succédaient maintenant des silences anxieux. Ils avaient de la peine à contenir leur montures sur place. Je réfléchis brièvement; une intuition me venai. J'observai quelques instants le sol, fît décrire à mon cheval un petit cercle et je sus que je ne m'étais pas trompé. Je n'était pas acculé. Je ne l'avais jamais été. Je ne croyais l'être que parce que toute ma vie on m'avait appris que je n'avais le droit de me déplacer qu'en effectuant deux enjambées latérales suivies de trois foulées qui leur étaient perpendiculaires. Je me souvenais maintenant qu'avant d'être pris en charge chez Maître Calawen je marchais librement dans toutes les directions, capacité qu'on avait veillé à brimer par l'apprentissage souvent dur et cruel.
Je tournai le dos aux cavaliers blancs et m'en allai en les laissant sur place, médusés, confus et incapables de se lancer à ma poursuite, ne réalisant pas que rien ne les empêchait de se déplacer de la même façon que moi. Du coin de l'oeil je suivis la trajectoire diagonale d'un fou blanc qui se ruait sur la reine noire, hurlant à tue-tête "Echec et Mat! Echec et Mat! Echec et Mat! Le Roi sera nommé et la Royauté reconnaîtra ma loyauté! Echec et Mat! Echec et Mat! Echec et Mat!"
J'avais conquis les moyens de mes ambitions. Plus acérée que l'épée noire qui pendait à mon flanc, ma nouvelle liberté était une arme redoutable. Mon cheval galopait à vive allure maintenant et je défis en tout hâte mon casque, le jetai loin; je sentis le contact le l'air sur mon visage, dans mes cheveux. Je savais ce que j'allais faire de ma liberté: j'allais parcourir le Plan jusqu'à trouver mon frère; lui et moi nous partirions alors loin de la Partie et nous passerions le reste de notre vie à vivre. Un bonheur indicible m'envahit et j'eus un rire profond, heureux, terriblement bon; si différent des rires terribles de circonstance qu'on nous avait appris à reproduire tels des singes savants lorsque nous nous trouvions en face d'ennemis à notre merci.
Sans que je m'en sois rendu compte mes lèvres s'étaient retroussées en un sourire, le tout premier de ma vie. Je me laissai aller à cette sensation agréable de mon visage qui se décrispait. Mon corps était devenu le miroir de mes résolutions et de mes émotions, l'instrument de mon esprit défait des lois éternelles du clan, le cri plein d'espoir de ma liberté.
Je n'étais plus le cavalier d'une partie d'échecs, car j'étais devenu un homme.
mardi 10 juin 2008
Sous le pont
Il y a à Genève un pont, le pont des Acacias, où le trafic est toujours trop dense et où la nervosité urbaine est palpable. Les gens se pressent de part et d’autre, sans jeter vraiment un coup d’œil à la rivière qu’enjambe le pont, l’Arve. A côté du pont il y a un petit escalier métallique qui mène sous le pont. Au bord de l’Arve.
Une fois arrivé là, le bruit du courant couvre le bruit de la circulation, et l’agitation s’efface devant la quiétude du lieu. Personne presque ne passe par là, en tout cas je n’y ai jamais croisé personne à part quelques moineaux. Un escalier pour se couper du monde au cœur même de la cité. Cité qui marque tout de même sa présence par ce mur couvert de graffiti et ce pont qui se substitue au ciel, mais comme timidement, silencieusement. Fusion de la nature et de l’urbain.
Ce lieu devient petit à petit mon nouveau sanctuaire.
Les pierres taguées tout comme les arbres me parlent, avec quiétude et assurance. Les premières me disent que d’autres avant moi sont passés par là, mais les derniers me rappellent que nul d’entre eux n’est resté bien longtemps, qu’il n’y a de constant qu’eux, qu’il n’y a d’éphémères que nous, le bruit et les saisons.