lundi 29 septembre 2008

Lettre à l'amant imaginaire

Lettre lancée au gré des vagues, la lira-t-on, l'oubliera-t-on? Le but est-il toujours de donner à lire, quand nous prend l'envie d'écrire? Pour moi? Pour eux? Pour lui? Pour?

J'ai mal à la tête, à l'arrière du crâne. Le soleil, en traître, m'a frappée un coup dans le dos. Je me renverse et je me retourne mais jamais je ne me relève.

Epaules détendues, un petit fourmillement sur la nuque, où aucun baiser n'a été déposé depuis une éternité; pourtant c'est mon péché mignon, celui qui me donne des frissons.

Pieds nus sur le lit, du bout des orteils je joue avec le drap. Ils décrivent de petits cercles, des spirales et des lignes droites. Parfois un pied caresse l'autre en un mouvement qui part de la plante au haut de la cheville, traversée voluptueuse.

Légèrement somnolente j'ai de drôles d'illusions. Le plus souvent je sens des chatouillements sur tout le dos... comme des doigts fins qui m'effleurent et qui ne font que m'effleurer. Parfois accompagnés de la sensation d'un souffle chaud, lentement périodique sur la base du cou. Les doigts fins viennent se perdre dans mes cheveux, ne savent plus comment ressortir de cette masse qui les a avalé.

Et lorsque je m'adandonne à vous, je sens vos lèvres caresser le lobe de mon oreille, mon amant imaginaire. Car je n'ai pas l'envie de vous résister. Vous aimez poser ma tête contre votre coeur et me laisser deviner plutôt que percevoir les battements réguliers.

Une fois, à l'orée du sommeil, j'ai senti que vous déposiez un baiser sur ma tempe, un sur mon front, un sur chacune de mes paupières, un sur le bout de mon nez, un autre sur mon menton, puis un sur mes lèvres. Je me suis réveillée pourvous surprendre à mes côtés et vous rendre vos baisers, mais vous étiez déjà parti, mon amant imaginaire.

Etes-vous un songe, mon amant imaginaire? Je pense que oui. Mais alors comment faites-vous? Comment faites-vous pour être plus réel que tous mes songes nocturnes? Pourquoi ceux-ci ne sont-ils que des images alors que vous avez réussi à venir à la vie? N'avez-vous donc point envie de me voir animée dans vos bras? Ou auriez-vous peur de laisser mon regard pénétrer le votre? Pensez-vous que je pourrais vous blesser si c'était moi qui vous touchait?

Peut-être que cela n'a pas de sens de vous écrire une lettre. Pourquoi la liriez-vous, et pourquoi m'y répondriez-vous alors que toutes mes prières n'ont point trouvé de retour de votre part?

Je pose ici ma plume, mon amant imaginaire... peut-être viendrez-vous me rejoindre... peut-être.

vendredi 19 septembre 2008

Je regarde ailleurs



Il m'arrive de regarder le ciel comme si je l'apercevais pour la première fois. Ses couleurs me surprennent alors, et je me demande comment il m'a échappé jusque là que les étoiles y étaient serties en si grand nombre. Aussi loin que je puisse m'en souvenir, l'émerveillement m'a ainsi saisi des milliers de fois. Les mêmes questions fusent, et comme d'habitude, je ne leur trouve aucune réponse. Et ce n'est pas grave, car ce qui importe c'est de se les poser.

Alors que tout le monde se mélangeait au mouvement de la fête, je levai les yeux et je me perdis dans cette contemplation, oubliant tout autour de moi. Parfois les pensées se forment sans se formuler, et c'est ainsi que je me retrouve à naviguer loin de la fermeté des vagues, au gré des immensités éthérées qui nous surplombent.

Ephémèrement immortelle en cet instant où je regarde ailleurs. Où je suis d'ailleurs.

Je ne sais pas jusqu'où je voyage ainsi, à une vitesse plus vertigineuse que celle de la lumière. Je décris une boucle et je retrouve ma place, baisse les yeux et ré-oublie le ciel.

Deconnexion.

Lorsque je retrouve ma place parmi les autres, je perds la mémoire du voyage. Je retourne à la fête, l'agitation des miens. La musique m'emplis le ventre et nous dansons tous. Nos déhanchements nous épuisent et nous maintiennent bien loin de cet ailleurs, dans lequel nous nous perdrions sans ce garde-fou. Car nous nous abîmerions vertigineusement à tomber dans l'infini.

mardi 2 septembre 2008

La deuxième fois

Murmures croisés, échos portés et chants mourants

Au bord de son corps je chancèle,

Dans la chute je le précède, je l'entraîne

Les fruits mûrs ont été dégustés, dévorés, avalés.

Le jus en a dégouliné et il nous couvre.

Je ne sais pas si je peux me relever,

je vacille et ma vue se trouble.

J'ai donné, pris, volé.

Maintenant je me noie dans mon indolence,

Il me regarde avec insolence.

Le souvenir de ce qui s'est passé est déjà irréel,

Nous devons recommencer pour tout retracer,

Reconstitution pour enquête. Mes requêtes, ses quêtes.

Il me saisit avec assurance,

celle de celui qui réinvestit un territoire déjà conquis.

Il me veut, me veut, me veut.

Je le lui offre, il l'honore.

Encore, encore, encore.

Le monde se limite à nous deux, la raison a déserté

Et le temps se trahit, il se répète.

vendredi 22 août 2008

Résignation

La fugacité de mes joies et la palpitation de mes peines forment la texture de mon histoire.

Ma trame se délite et ma substance s'efface, je disparais et je peine à le croire.

Je perdrai ma dernière bataille, celle où j'ai investi la force de ma dernière rage, inutile.

J'ai oublié depuis longtemps comment aimer bien, aimer sans faire mal.

Au moment de partir je laisserai mes valises sur le quai:
Je les ai trop portées,
Je les ai trop chargées,
Je les ai fermées à clé.

jeudi 21 août 2008

Fantôme du passé

Il m'est arrivé de t'aimer. D'en souffrir d'en mourrir d'y survivre. Je ne sais pas comment tu as commencé, mais je hais de t'avoir pardonné. J'ai été vidée de moi et il n'y est resté de beau plus que toi. Toi, et quelques mots, seuls souvenirs de moi.

La dernière fois où je t'ai étreint, j'avais le choix de ne pas te lâcher, de ne pas te laisser glisser entre mes doigts. Je n'ai pas su, et tu es parti. Lourde de regrets, pesante de larmes, j'ai traversé les espaces et les jours encombrée d'une plaie fendant mon buste en deux. J'ai appris à continuer à marcher malgré elle, mais mes pas ne cadencent plus mon coeur et ma respiration ne relance plus mes rires. Seule dans l'enfer de ton absence, mes pleurs ont fini par me rendre aphone, et personne ne sait plus mon mal.

J'ai bu le calice jusqu'à la lie et cela tu l'oublies. J'ai mal à la mémoire et toi, tu vis.

Dans la connaissance de mes erreurs, je n'ai jamais pu me perdre dans d'autres bras, sous d'autres regards, bien que j'aie essayé. Mes expressions se sont teintées de douleur, et j'ai délavé mes contours dans l'ombre de ton fantôme.

Fantôme du passé.

dimanche 29 juin 2008

Enlacés


Nous étions deux graines. Infiniment petites, les quelques pas qui nous séparaient représentaient pour nous la distance entre deux mondes. Je vivais dans l'ignorance de son existence, lui pourtant si semblable à moi.

Nous étions deux pousses, sortant à peine de sous terre. Eblouies par la lumière, nous qui n'avions vécus que dans l'obscurité jusque là, nous regardions autour de nous, émerveillées mais incapables encore de comprendre ce qui s'offrait à nos yeux. Petit à petit notre vision devint de plus en plus nette et nous contemplâmes le monde : les autres pousses, les arbres, les branches de bois mort jonchant le sol. En levant la tête nous voyions les feuilles qui avaient quitté leur arbre, s'élevant haut dans le ciel puis retombant, chute tournoyante, lente mais inéluctable. Les plus vieux arbres, pères de nos pères, nous enseignaient que le temps était un cycle, que nous vivions de l'eau du ciel et des restes décomposés en humus de nos proches décédés, qu'un jour nos troncs ne seraient plus lisses et que notre cœur s'enrichirait d'un anneau par année; nous ne connaissions pas encore la valeur de cet enseignement et ne les écoutions que d'une oreille distraite - erreur répétée de génération en génération.

Nous étions deux jeunes arbres, vigoureux et arrogants. Nous lancions nos branches encore tendres au feuilles vert vif dans toutes les directions, mais le vent les pliaient souvent, sans jamais pourtant que nous doutions de notre force. Nous nous pavanions et riions, nous oubliions notre condition, nous nous imaginions pouvoir trouver un jour le moyen de nous déraciner pour aller courir la forêt et nous posions un regard méprisant sur les âgés qui avaient simplement accepté leur sort. Nous nouions des affinités éphémères avec nos congénères, vivions avidemment les passions d'un jour et d'une nuit, criions sans cesse que nous étions sans jamais être sûrs au fond de ce que nous sommes en vérité. Nous prenions un plaisir intense à la chaleur du soleil; l'intensité de notre souffrance lorsque nous était infligée une blessure à l'écorce n'avait d'égale que la rapidité avec laquelle nous cicatrisions et oubliions.

Nous étions deux abres arrivés à maturité, majestueux et solides. Nous avions fini par comprendre que jamais nous ne pourrions pousser plus haut nos branches vers le ciel si en même temps nous n'enfoncions profondément nos racines dans le sol. Nous tentions de nous remémorer les leçons des anciens sans pouvoir totalement nous souvenir de tout, comblant ce qui manquait avec notre expérience propre. Avec les saisons nous avions gagné en sobriété, et avions appris à apprécier le silence, la mesure, la contemplation. Nous nous ouvrâmes alors au monde plus qu'à nous-mêmes et vîmes ce qui nous était invisible auparavent: nous étions incomplets à nous seuls. Alors que je commençais à concevoir qu'il ne me manquait que lui, je me rendis compte que nos racines, de plus en plus étendues, étaient déjà entrées en contact. Le temps passant nous ne pûmes que nous emmêler plus étroitement l'un à l'autre, soudés à la base, nos deux troncs parallèles, le vent circulant entre nous, nos feuilles se touchant parfois et visant le reste du monde d'autres fois: nous ne formions qu'un tout en restant deux.

Je l'aime.

samedi 28 juin 2008

Place des Nations de nuit





Des petits jets d'eau, dans la ville du Jet d'Eau, tantôt fontaines, quand ils s'élancent de tout leur long, tantôt bougies, quand ils se replient sur eux-mêmes. Sur fond bleu nocturne, les flammes d'eau dansent et sont réfléchies par le sol en béton, devenu miroir.

Je vois encore ces petites filles jouer et slalomer entre les jets, la petite blonde et la petite noire, riant aux éclats quand l'eau les prend de cours et les éclabousse. Et cet adolescent en rollers qui glissait entre les lumières. Tournant le dos à la chaise estropiée érigée en bout de la Place des Nations symbolisant les victimes des mines anti-personnelles, j'assistais au ballet d'eau à travers le viseur de mon appareil photo.

Ces instants éphémères je tente de les capturer. Par les mots ou les images, j'ai gardé leur trace en moi. La Beauté du monde appelée à passer, bien après que nous soyons nous mêmes passés, mais la seule chose de valeur qu'ait jamais faite l'Homme n'était-il pas justement de reconnaître et apprécier cette beauté?

jeudi 26 juin 2008

Saveurs

Je me souviens du goût du miel, doux et sucré comme tes paroles et tes regards quand tu me promettais de m'aimer toujours, comme tes baisers tendres emprunts d'émotion.

Je me souviens du goût des épices, fortes comme ton désir, brûlantes comme mon plaisir, persistantes comme la moiteur de ces chaudes nuits d'été pendant lesquelles nous nous unissions.

Je me souviens du goût de ces baies, acides comme tes reproches, lorsque je n'avais su que tout gâcher à force de tout vouloir me faire ressembler.

Je me souviens du goût du café, amer comme mes regrets lorsque j'ai compris que tu t'étais détaché au rythme de mes médiocrités et de nos incompréhensions.

Je me souviens du goût de l'eau de mer, salée comme mes larmes quand je t'ai vu partir sans plus jamais te retourner.

jeudi 19 juin 2008

Le Cavalier Noir et les deux Cavaliers blancs



Et ils me regardaient d'un air moqueur. Le fait d'être deux face à moi seul décuplait leur arrogance tandis que je tentai de me redresser, mon réflexe premier ayant été de courber l'échine. Leurs mots me taillaient comme des milliers de petites lames; les invectives qu'ils me lançaient se plantaient dans ma chair où, acides, elles rongeaient ce qui entrait en leur contact. Je détestais ma faiblesse et je me haïssais d'en être arrivé là. Les larmes me piquaient les yeux et je devais concentrer mon énergie entière pour les retenir. Je me savais acculé; l'un des deux cavaliers blancs qui me faisaient face finirait par éperonner sa monture et se ruer en ma direction, son épée le devançant. Le rire aigu de mes adversaires excitait la nervosité de mon cheval. Pris de pitié pour ma vieille compagne noire autant que pour moi-même, je caressai d'une main légèrement tremblante son encolure pour tenter de le calmer. Notre périple commun, long de plusieurs cycles, se finirait donc ici, ainsi.

Je pouvais bien attaquer l'un ou l'autre, le terrasser peut-être même, mais dans cette éventualité, je serais encore plus vulnérable aux coups de son comparse. J'étais trop lâche pour courir plus près que je ne l'étais déjà de ma mort certaine. Chaque seconde qui me restait à vivre m'était chère, et les sentir me fuir avec la rapidité des grains de sable qui filent entre les doigts me glaçait. J'aurais aimé qu'une pensée ou qu'un souvenir vienne me réchauffer en cet instant, me tenir compagnie, adoucir les contours de l'insoutenable, mais rien ne se passait réellement dans ma tête, la peur et l'immensité de mon désespoir prenant toute la place de ma personnalité et de mon histoire.

Je levai mon regard et il croisa celui du cavalier de droite. Sa monture était blanche comme neige, son armure blanche étincelait d'un éclat aveuglant en cette fin de journée. Ses armes étaient blanches et ses yeux rouges d'albinos formaient la seule touche de couleur de l'individu entier. Un regard froid, mort, inanimé contrastant fortement avec la cruelle excitation qui animait le personnage. A y regarder de plus près son expression était étrangement figée sur son visage, et je me rendis compte que durant les quelques minutes que durèrent notre contemplation mutuelle elle ne fût pas modifiée d'un pouce, ni même d'un battement de cils. Je l'entendais, pourtant, son rire. Je tournai me regard vers l'autre cavalier blanc pour faire le même constat.

Ils se ressemblaient parfaitement et je ne sais pourquoi ce fait me dérangeait étrangement, car j'ai pourtant toujours su, comme nous l'avions toujours tous su, que les cavaliers venaient au monde par paire. J'avais moi-même un frère jumeau; j'ignorais toutefois où il se trouvait en ce moment même. Il en a toujours été ainsi pour les cavaliers frères: dès que nous étions en âge d'être mis en selle nous étions placé chacun d'un côté du Plan d'Affrontement, symétriquement par rapport au centre de nos rangs, où se trouvaient le cœur et la raison d'être du groupe, le couple royal. Il arrivait qu'un cavalier recroise par le hasard des déplacements ou par la stratégie des placements son frère jumeau, comme c'était le cas de mes deux vis-à-vis, mais je n'avais pas encore aperçu le mien; peut-être avait-il déjà été renversé. Il y avait une éternité il me semblait que lui et moi nous jouions aux jeux de guerre dans l'arrière-cour de notre maison natale, rêvant au jour où nous pourrions être assez grands enfin pour parcourir le Plan sur nos chevaux respectifs (nés jumeaux eux aussi), pour voir défiler sous nos yeux les variations noires et blanches du granit à damier alors que nous menions bataille. Lui et moi, nous aimions écouter les récits épiques et mythologiques de Maître Calawen le Camard, qui avait perdu le nez au Plan avant même la naissance du père de mon père. Le Maître nous parlait souvent, entre deux enseignements, de ce qu'il aimait nommer sa "Partie" dont il était revenu seul survivant lui et son Roi.

Mon frère me manquait. Ces nuits que nous passions à nous chamailler pour savoir qui de Ybael le Tomber de Tours ou de Zemefin-Plus-Noir-que-la-Nuit était le plus grand cavalier de tous les temps, ces heures à dompter nos chevaux, ces repas au réfectoire pendant lesquels nous tentions de piquer la part de tarte des autres jumeaux; tout cela me manquait. Jamais de ma vie je n'aurais imaginé ressentir une chose pareille.

Un malaise grandissait, différent de la peur qui continuait de me tenailler par ailleurs. De la perplexité. Ces visages immobiles, cette nostalgie de mon frère, cette peur de mourir, cette tentation de fuir... Jamais n'avais-je ouï chose pareille. Ce n'était pas normal et je le savais. J'aurais dû avoir honte de penser à autre chose qu'à protéger mon Roi mais j'avais beau chercher en moi, je ne trouvais nulle trace de honte. Je voulais vivre, je voulais retrouver mon jumeau et quitte à passer pour un lâche, je ne voulais pas mourir pour un souverain auquel je n'avais jamais choisi de faire allégeance. Mon frère me choisirais un prénom et je lui en choisirais un, car nous n'en portions pas; il est d'usage que seuls les survivants d'une Partie aient le Privilège d'Individualité. Je serai le poing et la rage de survivre m'envahit, repoussant la peur, repoussant le malaise.

Je vivrai. La conviction s'était imposée à moi et je sus que je me battrai pour ce nouvel idéal.

Mon regard se perdit un instant entre les deux cavaliers blancs et je vis un pion noir se faire écraser par une tour blanche; il avait attendu docilement sa fin. Je me souvins comment dans nos jeunes jours nous riions aux dépens des pions, leur jouant mille et un tours. Je me souvins de la colère de Maître Calawen le jour où il découvrit que mon jumeau et moi avions mené nos chevaux à en piétiner un. Il nous avait dit que bien que dénigrés par nous pour leur faiblesse, nous apprendrions un jour qu'ils n'en forment pas moins l'âme de la Partie et que leur sens du sacrifice, exemplaire, devrait nous inspirer pour nous surpasser plutôt que pour nous complaire dans notre médiocrité.

Puis la tour blanche qui l'avait piétiné s'effondra, sous l'assaut d'un chétif pion noir qu'elle avait négligé lors du calcul de son avancée, par négligence, par imprudence ou par suffisance. La force de la faiblesse comme aimait à nous mettre en garde le Camard lors des cours de stratégie.

Le changement qui s'était opéré en moi n'avait pas échappé aux deux cavaliers blancs et aux remarques sarcastiques succédaient maintenant des silences anxieux. Ils avaient de la peine à contenir leur montures sur place. Je réfléchis brièvement; une intuition me venai. J'observai quelques instants le sol, fît décrire à mon cheval un petit cercle et je sus que je ne m'étais pas trompé. Je n'était pas acculé. Je ne l'avais jamais été. Je ne croyais l'être que parce que toute ma vie on m'avait appris que je n'avais le droit de me déplacer qu'en effectuant deux enjambées latérales suivies de trois foulées qui leur étaient perpendiculaires. Je me souvenais maintenant qu'avant d'être pris en charge chez Maître Calawen je marchais librement dans toutes les directions, capacité qu'on avait veillé à brimer par l'apprentissage souvent dur et cruel.

Je tournai le dos aux cavaliers blancs et m'en allai en les laissant sur place, médusés, confus et incapables de se lancer à ma poursuite, ne réalisant pas que rien ne les empêchait de se déplacer de la même façon que moi. Du coin de l'oeil je suivis la trajectoire diagonale d'un fou blanc qui se ruait sur la reine noire, hurlant à tue-tête "Echec et Mat! Echec et Mat! Echec et Mat! Le Roi sera nommé et la Royauté reconnaîtra ma loyauté! Echec et Mat! Echec et Mat! Echec et Mat!"

J'avais conquis les moyens de mes ambitions. Plus acérée que l'épée noire qui pendait à mon flanc, ma nouvelle liberté était une arme redoutable. Mon cheval galopait à vive allure maintenant et je défis en tout hâte mon casque, le jetai loin; je sentis le contact le l'air sur mon visage, dans mes cheveux. Je savais ce que j'allais faire de ma liberté: j'allais parcourir le Plan jusqu'à trouver mon frère; lui et moi nous partirions alors loin de la Partie et nous passerions le reste de notre vie à vivre. Un bonheur indicible m'envahit et j'eus un rire profond, heureux, terriblement bon; si différent des rires terribles de circonstance qu'on nous avait appris à reproduire tels des singes savants lorsque nous nous trouvions en face d'ennemis à notre merci.

Sans que je m'en sois rendu compte mes lèvres s'étaient retroussées en un sourire, le tout premier de ma vie. Je me laissai aller à cette sensation agréable de mon visage qui se décrispait. Mon corps était devenu le miroir de mes résolutions et de mes émotions, l'instrument de mon esprit défait des lois éternelles du clan, le cri plein d'espoir de ma liberté.

Je n'étais plus le cavalier d'une partie d'échecs, car j'étais devenu un homme.

mardi 10 juin 2008

Sous le pont


Il y a à Genève un pont, le pont des Acacias, où le trafic est toujours trop dense et où la nervosité urbaine est palpable. Les gens se pressent de part et d’autre, sans jeter vraiment un coup d’œil à la rivière qu’enjambe le pont, l’Arve. A côté du pont il y a un petit escalier métallique qui mène sous le pont. Au bord de l’Arve.

Une fois arrivé là, le bruit du courant couvre le bruit de la circulation, et l’agitation s’efface devant la quiétude du lieu. Personne presque ne passe par là, en tout cas je n’y ai jamais croisé personne à part quelques moineaux. Un escalier pour se couper du monde au cœur même de la cité. Cité qui marque tout de même sa présence par ce mur couvert de graffiti et ce pont qui se substitue au ciel, mais comme timidement, silencieusement. Fusion de la nature et de l’urbain.

Ce lieu devient petit à petit mon nouveau sanctuaire.

Les pierres taguées tout comme les arbres me parlent, avec quiétude et assurance. Les premières me disent que d’autres avant moi sont passés par là, mais les derniers me rappellent que nul d’entre eux n’est resté bien longtemps, qu’il n’y a de constant qu’eux, qu’il n’y a d’éphémères que nous, le bruit et les saisons.

lundi 28 avril 2008

Les idées flottantes

Je suis parcourue de certaines douleurs que je ne comprends pas toujours. Parfois des élancements, parfois des martèlements ou encore des picotements. D'une certaine façon elles me mettent en bonne disposition pour écouter à l'intérieur, mon coeur, ma tête. Mon crâne, à certaines heures du jour est une caisse de résonnance pour mon estomac qui crie sa faim.

Les idées ne restent pas confinées dans cette boîte crânienne et elles obeissent aux lois d'Archimède: les plus légères flottent juste sous le cuir chevelu, les plus lourdes me tombent dans les pieds et les immobilisent. Parmis elles il s'en trouve qui adoptent des trajectoires ballistiques; décrivant une parabole, elles perdent de la vitesse en montant, et elles en gagnent en descendant... chute librement vertigineuse, ascension tenue en laisse par la gravité.

J'ai senti à plusieurs reprises qu'il existait des idées comme des bulles de champagne: elles se forme au fond, et, moins denses que leur environnement, elles s'en détachent dès qu'elles sont assez grosses, montent en zigzaguant (elles se fraient un chemin parmis le flux descendant) et éclatent une fois au sommet. Je pense que c'est ce qui me frise les cheveux: c'est la mousse du champagne des pensées trop légères pour durer. Cela expliquerait pourquoi cela t'ennivre toujours de plonger la tête dans ma chevelure.

Si je ferme les yeux je peux tout voir, car l'intérieur de mes paupières est un miroir. Les nuances de couleur sont infinies et les formes enfantines. Il y a des petits moutons en paisibles troupeaux rouges, roses et jaunes. Il y a des chiens de traîneau par douzaines en chaîne, bleu et verts. Des chevaux sauvages mauve et marron, de sombres bisons solitaires et des loups gris aux grimaces effrayantes. Il arrive que deux idées s'entrechoquent; parfois elles
rebondissent, parfois elles fusionnent, et elles changent de forme et de couleur.

Les plus étranges sont celles logées juste sous mon nombril. Elles ont des formes de reptiles. Elles restent là, immobiles, à l'affût. Quand un petit animal coloré arrive à proximité il se fait avaler, et il disparaît purement et simplement alors que le réptile, blanc comme un nuage de fumée, grossit. Par leur gloutonnerie ils font le vide autour d'eux, et les autres les évitent. Ils ne les approchent qu'accidentellement, lorsqu'ils sont rejetés par la foule trop compacte. La plupart du temps ils ferment les yeux pour les ignorer, mais il leur arrive de secrètement ouvrir une paupière, par attrait pour ces mystères crocodiliens.

Dans l'ombre, ce sont eux, les reptiles qui mènent la danse; sans eux personne en naîtrait jamais, ne prendrait ni forme ni couleur. Ils le savent tous mais ils le taisent. C'est que l'idée est honteuse. Et pourtant délicieuse. Car lorsqu'ils me mordent et me griffent juste sous la peau, en réponse à tes caresses juste sur la peau, leurs crocs et leurs serres ouvrent des plaies d'où suinte du miel et du sirop d'orgeat.

samedi 26 avril 2008

Le cahier indien

L'odeur d'un autre continent imprègne mon papier. Cahier d'écolier ne valant que quelques roupies, il n'en est pas moins devenu un de mes trésors: je l'ouvre pour le humer quand me vient la nostalgie de cette lointaine contrée. L'Inde se trouve sur ses pages, entre ses pages, dans ses pages lignées. Sa douce texture me ramène sur la route où je me suis arrêtée pour me procurer le notebook. Je revois le vieil homme dans son kiosque, entouré de mille et un objets utilitaires ou moins utiles à vendre: mouchoirs, cahiers, crayons, shampoing, bonbons, et même quelques CD's,... Ses mains tavelées, sa voix éraillée.

En fermant les yeux je peux retrouver la chaleur du soleil rajastani, le calme que je pensais m'entourer - uniquement parce que je m'étais habituée à l'incessante cacophonie des rues indiennes. Et l'odeur. L'Odeur.

La même partout en Inde. Quelles que soient les autres odeurs (la pollution, la nourriture ou la foule), il y a toujours ce dénominateur commun en arrière-plan, le parfum élémentaire. Je connaissais celui de l'Afrique, fort, enveloppant, rassurant mais sauvage, le parfum d'une mère. Le Continent Noir me donnait le sein, le continent indien attisait ma sensualité. Je retrouvais partout cette exhalaison d'une amante, épicée, piquante, provocante. Elle m'invite à la poursuivre ; je veux l'étreindre et la faire mienne. Est-ce ceci qui envoute les gens qui foulent ton sol, Inde? Prisonniers de tes filets, dans lesquels tu nous as attirés à coup d'oeillades malicieuses et de rires voilés, nous ne cherchons même pas à nous en libérer. Le souhaiterions-nous que nous n'y arriverions-nous pas. Tu nous habiteras jusqu'à ce que nous revenions à toi.

Ma douce rêverie prend fin lorsque je ferme le cahier, mais son écho me poursuis un moment. Un peu comme une mélodie qui me trotterait dans la tête encore et encore après que j'aie rabattu le couvercle d'une boîte à musique. Je suis de nouveau en Europe, mon éternelle Europe, si familière, mais qui m'inspire si peu d'ardeur. Au fond, je suis appelée à la quitter, je le sais. Peut-être connaitrai-je alors ce jour la nostalgie du Vieux Continent, en humerai-je l'odeur sur les pages d'un cahier, écrirai-je mon mal d'elle?

Aurais-je toujours cette impression que "chez moi" se trouve ailleurs? Je n'ai jamais eu totalement ma place là où je me trouvais. Je regarde autour de moi et je sais que je suis l'étrangère, partout où j'ai été. Le temps passant, j'ai compris que cela te tenait pas aux lieux où je vivais, mais à moi: l'intruse que je suis, fille de la solitaire que j'ai toujours été n'est jamais totalement entrée dans la danse, nulle part. J'ai souvent cette image du monde comme une pièce de théâtre, les gens jouent leur propre rôle, les décors bougent et évoluent sans cesse. Personne n'est conscient qu'à distance respectable de l'estrade il y a l'audience composée d'innombrables rangées de fauteuils en velours rouge plongées dans le noir (un spot lumineux circulaire éclaire la scène). Dans les fauteuils se trouvent les seuls par nature qui ne savent pas comment faire pour entrer dans la pièce et y camper un rôle. J'en fais partie.

Personne à ma droite, personne à ma gauche. Je regarde les acteurs, mais j'ai une impression d'agitation bruyante incohérente, car je ne comprends pas ce qu'ils se disent (peut-être suis-je assise trop loin). Par moments il m'arrive de sentir sur la nuque un souffle chaud, mais lorsque je me retourne il n'y a personne. Peut-être n'est-ce que mon imagination qui peuple l'espace sombre.

Perdre ma solitude, m'arracher à elle, ce n'est peut-être que réussir à retenir ce souffle sur ma nuque, où du moins éluder le mystère de cette sensation récurrente ; amoureuse de cette respiration que je me plais à imaginer masculine, virile et sensuelle, il me semble que j'attends d'elle qu'elle m'étreigne.

Peut-être ce jour là la nostalgie des lieux où je ne me trouve pas s'estompera naturellement.

vendredi 18 avril 2008

Dark Shines and Light Shadows

Besoin d'écrire, de mettre des mots... sur des images, des concepts, des moments.

L'envie d'écrire, pour l'écriture, plus que pour relater des faits. A l'instant précis où mes doigts tapent sur le clavier d'ailleurs je ne suis pas capable de voir plus loin que la fin de la phrase en cours; la suivante n'existe pas encore, la précédente est déjà passée. Succession d'instants déconnectés qui forment une durée cohérente: une minute, un jour, une semaine. Durée cohérente mais non forcément linéaire...c'est ce qui m'a toujours fascinée à propos de l'écriture: on peut distordre, contracter et étirer le temps à sa guise. Alors que dans le monde réel chaque minute est soeur jumelle de n'importe quelle autre et qu'elles s'enchaînent avec une prévisibilité monotone, dans le monde des mots elle peut prendre la place de tout un récit, elle peut être écrasée par les autres, et on peut sauter d'une époque à une autre en un battement de cils. La même remarque sied bien évidemment à l'espace: la plume (ou le clavier!) permet d'effectuer des bonds erratiques d'un lieu à un autre.

Doit-on dire quelque chose lorsqu'on écrit quelque chose? Plus précisément doit on construire un sens, dans le but que le texte soit compréhensible par un tiers? Bien entendu cette question a été posée et re-posée bien avant que je ne la formule ici, et je ne serai pas celle qui y apporterai la réponse la plus pertinente. Il est pourtant évident que si l'écriture n'a pas nécessairement pour vocation d'être compréhensible, les textes publiés obeissent généralement à cette loi. Le besoin d'écrire, le besoin d'être compris. En premier lieu par soi-même. Jeter un regard sur soi-même et projetter une image, mais comme par le biais d'une glace déformante, le temps et l'espace n'étant plus ce qu'ils sont dans le monde réel, prenant les étranges proportions de mon imagination comme je l'ai évoqué plus haut. Une fausse image? Oui, celle que je veux me donner, consciemment ou non.

Ecrire, c'est mentir.

Il est pourtant étonnant de constater que de tous temps et en tous lieux, l'activité littéraire (et plus largement l'activité artistique), est souvent décrite comme étant celle qui donne leur réelle dimension aux choses, car elle permet de dépasser le simple fait et de mener une analyse, un décryptage. Mais il ne s'agit là que de l'habillage d'une vérité nue par un regard humain, non? Un voile mal ajusté. Le mensonge de nos mots n'est souvent d'ailleurs que l'écho brut de l'imperfection de nos sens. Nous ne percevons qu'une infime partie du monde et nous n'en comprenons qu'une partie encore plus infime. Belle prétention dès lors que d'imaginer comprendre le monde, et par la même se comprendre soi-même, au travers des phrases que l'on jette sur un papier (ou tout autre support)! Ce besoin de se comprendre en s'écrivant est un leurre, et on ne peut donc pas attendre des autres qu'ils nous comprennent. Un leurre mais une idée séduisante tout de même. Une idée qui m'a séduite en tout cas.

L'obscurité m'a toujours été plus inspiratrice pour l'écriture que la lumière du jour... jusqu'à la plupart de mes récits se déroulent dans la nuit, l'ombre ou la pénombre, pleines de vie: Dark Shines. Je suis une piètre romancière car je ne finis pratiquement jamais mes ébauches mais sans doute sommes nous nombreux dans ce cas. C'est juste que depuis ma cachette d'ombre je n'arrive pas à voir les autres. De toutes les obscurités celle qui précède l'aube est celle qui m'est le plus agréable. Le calme est généralement si profond que les objets prennent un contour plus net dans mon esprit, et j'entends si distinctement le crayon gratter le papier que je me sentirais pour peu seule au monde. Je peux alors réinventer le monde justement selon ma fantaisie, lui donner des traits particuliers qu'il n'a pas à la lumière du jour. Car quand le soleil se lève tout réapparaît selon la forme propre que lui donnent les rayons de l'astre du jour et qui s'impose à nous, et contre laquelle on ne peut rien. On ne peut même plus mentir sur la seule chose qui nous appartienne réellement, nous-mêmes. L'image fantasmée se délite. L'inspiration ne sert plus à rien dans la clarté, on ne peut inventer ou ré-inventer ce qui crie son existence de façon si crue: Light Shadows.