dimanche 18 mars 2012

Au coeur des choses




Le manteau du gouverneur

Il était une fois un gouverneur qui aimait s'évader de temps en temps de ses obligations en voyageant incognito à travers le pays. Il rangeait alors son riche manteau et revêtait les guenilles usées d'un homme simple. Un jour, alors que le soleil se couchait derrière l'horizon, notre marcheur frappa à la porte d'un riche marchand de la région. Le maître de maison apparut à la porte et le voyageur lui demanda le gîte pour la nuit. Le marchand accepta, car c'était un devoir religieux d'offrir l'hospitalité aux voyageurs, mais il le fit de très mauvaise grâce et ne chercha pas à cacher son déplaisir. Il délégua à un de ses serviteurs de s'occuper de l'homme.
On installa le voyageur qu'on ignorait être le gouverneur dans un coin de la cuisine et on lui servit un bol de bouillon clair avec un quignon de pain dur pour tout repas. Puis on lui désigna pour passer la nuit un emplacement étroit sous des escaliers sur lequel on avait déroulé une paillasse si mince que la moindre aspérité du sol dur pouvait marquer la peau. Ainsi le gouverneur passa la nuit, et dès la montée du jour il repris le chemin.
Quelques mois plus tard, le gouverneur eut à repasser dans cette même ville où le marchand résidait pour arbitrer un différent entre représentants locaux. Une foule de notables accourut de toute part pour l'inviter pour la nuit. Parmi ceux-ci se trouvaient le riche marchand, qui n'hésitait pas à faire des coudes pour s'approcher au plus près du gouverneur. Le gouverneur déclara qu'il acceptait l'invitation du marchand, qui ne se sentit plus de joie d'un tel honneur.
Le soir même, on installa le gouverneur à la place d'honneur d'une somptueuse table couverte de dizaines de verres en cristal et de centaines de couverts en argent. Le premier plat arriva: une bonne vingtaine de pigeonneaux farcis. Lorsque tout le monde fut servi, le gouverneur fit une chose étrange: il ne porta pas la nourriture à sa bouche mais la déversa par cuillerées entières sur le manteau qu'il portait, son somptueux manteau de gouverneur. Les convives furent choqués par l'étrangeté de la scène, mais personne ne dit mot.
Puis on amena le deuxième plat: une bonne vingtaine d'oies rôties. Lorsque tout le monde fut servi, de nouveau le gouverneur déversa la nourriture sur son manteau. Il en fut de même lorsqu'on apporta le troisième plat - une vingtaine de moutons grillés – et la bonne vingtaine de différents desserts qui suivirent.
Au moment du coucher, on installa le gouverneur dans une belle chambre avec un beau lit au matelas rembourré de plumes de colombes. Au milieu de la nuit pourtant, la gouvernante réveilla en panique le maître de maison. Elle l'emmena jusque sous les escaliers, où dormait le gouverneur, installé sur la mince paillasse. Stupéfait, le marchand réveilla le gouverneur.
« Votre Excellence, que faites-vous ici sous l'escalier alors que nous vous avons mis à disposition une chambre. Celle-ci ne serait-elle pas à votre goût?, demanda le marchand.
- Au contraire, mon cher ami, c'est une bien belle chambre. Seulement, je n'oserais dormir dans un lit qui ne me fut pas offert, ni voler un lit à celui à qui il a été offert, répondit le gouverneur.
- Mais que racontez-vous, votre Excellence? Nous vous avons bien offert ce lit.
- Non, vous ne m'avez pas offert ce lit. Il y a quelques mois, je suis venu ici presque nu, et on m'offrit un bouillon clair pour dîner et cette paillasse pour dormir; aujourd'hui, je suis vêtu d'un manteau, et on m'offre un splendide dîner et un lit douillet. J'en conclus que ces honneurs ne furent pas faits à ma personne mais à mon manteau. »

Sur ce, le gouverneur se recoucha en tournant le dos au marchand. Celui-ci se retira et avant de regagner sa propre chambre, il passa par celle qu'il avait offerte à son invité: sur le lit rembourré de plumes de colombes était posé le manteau du gouverneur.

lundi 12 mars 2012

Le soleil est revenu

Le soleil est revenu. L'hiver recule et ma période de retrait touche à sa fin. C'est qu'en hiver, j'use et abuse de l'excuse du froid pour m'isoler. Mes amis me disent anti-sociale, je ne réponds pas aux appels, ils me font des gentils reproches. Je les comprends, j'en ai honte. Mais je ne sais pas trop être autrement. Alors quand il fait beau et que les invitations sont plus nombreuses, je me fais violence.

Pourtant dieu sait que j'aime mon entourage, dieu sait que leur compagnie est agréable. C'est juste que la plupart du temps, faire bonne figure auprès de ceux qu'on aime absorbe tant d'énergie. Mon coeur me donne l'impression d'être décroché de la conversation, ma tête de dériver loin, mon mal-être de flotter au-dessus de moi. Quand je leur souris, c'est une petite imposture; je leur fais croire que mes rires sont authentiques, je ne pense pas qu'ils soient dupes.

Le soleil est revenu. Cette année encore je vais essayer de le laisser caresser ma peau.