lundi 28 avril 2008

Les idées flottantes

Je suis parcourue de certaines douleurs que je ne comprends pas toujours. Parfois des élancements, parfois des martèlements ou encore des picotements. D'une certaine façon elles me mettent en bonne disposition pour écouter à l'intérieur, mon coeur, ma tête. Mon crâne, à certaines heures du jour est une caisse de résonnance pour mon estomac qui crie sa faim.

Les idées ne restent pas confinées dans cette boîte crânienne et elles obeissent aux lois d'Archimède: les plus légères flottent juste sous le cuir chevelu, les plus lourdes me tombent dans les pieds et les immobilisent. Parmis elles il s'en trouve qui adoptent des trajectoires ballistiques; décrivant une parabole, elles perdent de la vitesse en montant, et elles en gagnent en descendant... chute librement vertigineuse, ascension tenue en laisse par la gravité.

J'ai senti à plusieurs reprises qu'il existait des idées comme des bulles de champagne: elles se forme au fond, et, moins denses que leur environnement, elles s'en détachent dès qu'elles sont assez grosses, montent en zigzaguant (elles se fraient un chemin parmis le flux descendant) et éclatent une fois au sommet. Je pense que c'est ce qui me frise les cheveux: c'est la mousse du champagne des pensées trop légères pour durer. Cela expliquerait pourquoi cela t'ennivre toujours de plonger la tête dans ma chevelure.

Si je ferme les yeux je peux tout voir, car l'intérieur de mes paupières est un miroir. Les nuances de couleur sont infinies et les formes enfantines. Il y a des petits moutons en paisibles troupeaux rouges, roses et jaunes. Il y a des chiens de traîneau par douzaines en chaîne, bleu et verts. Des chevaux sauvages mauve et marron, de sombres bisons solitaires et des loups gris aux grimaces effrayantes. Il arrive que deux idées s'entrechoquent; parfois elles
rebondissent, parfois elles fusionnent, et elles changent de forme et de couleur.

Les plus étranges sont celles logées juste sous mon nombril. Elles ont des formes de reptiles. Elles restent là, immobiles, à l'affût. Quand un petit animal coloré arrive à proximité il se fait avaler, et il disparaît purement et simplement alors que le réptile, blanc comme un nuage de fumée, grossit. Par leur gloutonnerie ils font le vide autour d'eux, et les autres les évitent. Ils ne les approchent qu'accidentellement, lorsqu'ils sont rejetés par la foule trop compacte. La plupart du temps ils ferment les yeux pour les ignorer, mais il leur arrive de secrètement ouvrir une paupière, par attrait pour ces mystères crocodiliens.

Dans l'ombre, ce sont eux, les reptiles qui mènent la danse; sans eux personne en naîtrait jamais, ne prendrait ni forme ni couleur. Ils le savent tous mais ils le taisent. C'est que l'idée est honteuse. Et pourtant délicieuse. Car lorsqu'ils me mordent et me griffent juste sous la peau, en réponse à tes caresses juste sur la peau, leurs crocs et leurs serres ouvrent des plaies d'où suinte du miel et du sirop d'orgeat.

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