dimanche 8 août 2010

Conversation avec une rivière



La rivière m'était apparue nimbée de lumière blanche comme dans un rêve. Sa surface habituellement tumultueuse était maintenant lisse et je l'entendais me murmurer de douces paroles apaisantes. Je me suis alors assise sur la berge et je lui ai répondu. Nous parlâmes des heures de toutes les saisons et de toutes les époques et de tous les hommes qu'une rivière accompagne dans leurs vies et dans leurs morts. Etendue, elle était constamment ici et ailleurs en même temps, son corps épousait les limites de son lit et ses gouttes d'eau étaient les cellules élémentaires transitoires d'un organisme continu et pérenne. Mon âme de femme ressemblait peut-être à une rivière métaphysique, dont les souvenirs étaient la matière, dont les émotions étaient la course dans le pays au relief inégal, dont les blessures ouvertes étaient ces pierres émergentes que l'eau doit contourner avec une agitation tourbillonante, dont les idées s'entrechoquant selon des trajectoires aléatoires étaient des poissons de tailles et couleurs différentes.

Je plongeai le bout des doigts dans le courant glacial. Après un premier frisson qui me parcourut le bras puis l'échine, la température fraîche me sembla caressante, comme le baiser d'un amant sur ma main. Je demandai à la rivière de quoi elle vivait, elle me répondit de sa source, et je lui demandai de quoi sa source vivait, et elle me répondit d'elle-même.

Je me levai et entrai doucement en marchant dans la rivière jusqu'à ce qu'elle me chatouille à hauteur des genoux. Mes pieds s'enfoncaient dans le fond meuble recouvert d'un tapis de galets polis. Elle me demanda comment était-ce de ne pas courir seule comme une rivière, je lui répondis que nous courrions toujours seuls quoi que nous fassions, que nos chemins étaient au mieux parralèles sur une poignée d'heures, de jours ou d'années, avant d'inévitablement se briser et diverger.

Je m'arrêtai d'avancer lorsque l'eau atteint le niveau de mon menton. La rivière était aussi chaude que ma peau, ou alors ma peau était aussi froide que la rivière. Je lui demandai pourquoi elle ne m'avait pas appelée plus tôt à elle, elle me répondit que seules entendaient son appel celles qui finissaient par abattre les forteresses de leur moi pour laisser les flots salvateurs de l'oubli les submerger.

Je continuai d'avancer et disparus pour toujours, dissolue par l'eau comme une poupée de sucre. Je devins un des nombreux esprits que chariait la rivière; elle était désormais ma monture et elle me transporterait sur des nuits et des jours jusqu'à ma destination finale: l'embouchure maritime, frontière de l'eau douce et de l'eau salée.

La fin d'une rivière est une mer, et la fin d'une femme est une larme.

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