mardi 18 mai 2010

La solitude du papillon


Ephémère, telle est la vie du papillon. Quelques jours lui suffisent pour faire le tour de sa destinée, bien trop courte pour s'encombrer d'une mémoire, de souvenirs ou de blessures du passé. Le battement d'ailes précédent est déjà oublié, le prochain n'existe pas encore. Pourtant chaque battement d'ailes est une invitation au chaos et à une nouvelle destinée pour le monde. Mais ceci, le papillon ne le sait pas.

La vie est-elle plus agréable quand la mémoire fait défaut, quand toutes les fois sont des premières fois, quand chaque plaisir est un instant primordial, quand les peines ne laissent pas de cicatrice, quand tout ce qu'il y a à savoir d'une existence n'aura jamais à être appris au prix d'erreurs et de défaites, quand l'instinct suffit?

Il est des jours où j'aurais tout échangé contre l'amnésie; j'aurais pu devenir un papillon-femme aux ailes froissées, née dans un cocon de feutre, buvant le nectar de paisibles fleurs, volant en désordre vers une lumière aveuglante qui m'aurait transformée flamme incandescente multicolore. En l'absence de mémoire je n'aurais jamais aimé, jamais haï, jamais désiré, jamais regretté. Contrairement à l'araignée qui tisse, le fil de ma chronologie n'aurait pas été matérialisé, et il ne resterait aucune trace de mon passage, sinon quelques grains de pollen lancés au vent ou quelque cataclysme chaotique... tout ou rien.

Sans persistance, sans continuité, ni conscience, ni personnalité. L'absence du soi, aussi ténu soit-il dans l'espace et dans le temps, c'est la solitude du papillon. Il n'est point de créature plus seule que celle qui n'a pas de soi propre à saisir à chaque instant, qui se trouve privée du seul vrai compagnon avec lequel une vie est traversée de bout en bout, sa mémoire.


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